Lancé par le pape François en 2021, le synode sur la synodalité a ouvert sa deuxième session le 2 octobre 2024 à Rome et s’achèvera le 27 octobre. Il a du mal à susciter l’enthousiasme des fidèles qui ne parviennent pas à saisir le but et l’intérêt de si nombreux débats, analyse le Frère Manuel Rivero dans son homélie du 10/10/24. Pourtant, les synodes font partie intégrante de l’histoire de l’Eglise. L’originalité de ce synode ? Répandre dans la vie de l’Église un esprit de dialogue et de participation dans l’égale dignité baptismale. Cela permet d’éviter 2 dangers : le cléricalisme et la passivité.
Tradition séculaire et originalité de l’esprit synodal
Dès la naissance de l’Église que saint Luc décrit dans les Actes des apôtres, les apôtres se sont réunis pour traiter des sujets qui faisaient l’objet des débats contradictoires dans les communautés (cf. Ac 15). C’est en invoquant l’assistance de l’Esprit Saint que les apôtres ont pris des décisions après avoir écouté les propositions et les arguments des uns et des autres.
Tout au long de l’histoire de l’Église, les chrétiens ont organisé des réunions communautaires, des synodes, des conciles et des chapitres dans les ordres religieux.
Quelle est alors l’originalité et l’apport de ce synode sur la synodalité ? Il me semble que la nouvelle méthodologie adoptée aspire à répandre dans la vie de l’Église un esprit de dialogue, de participation dans l’égale dignité baptismale. D’où la disposition des tables rondes où s’expriment des évêques, des prêtres, des religieux et des laïcs dans l’intelligence de la foi et dans le but de parvenir à « un bouquet » d’expériences, des propositions voire des décisions en tant que frères et sœurs de Jésus.
Discerner ensemble [1]
La synodalité repose sur la dignité baptismale des chrétiens et sur leur vocation à devenir disciples-missionnaires de Jésus le Christ, « Chemin, Vérité et Vie » (Jn 14,6). Habités par le même Saint-Esprit reçu avec le saint-chrême baptismal, les chrétiens pratiquent la méthode bien rodée de l’Action catholique : « regarder, discerner, transformer », en cheminant ensemble selon le sens étymologique du mot grec « synode ».
L’accent est par conséquent mis sur l’agir en commun. Le discernement passe par une recherche commune de la volonté de Dieu à la lumière de la Parole révélée, d’où l’importance de la Bible placée au cœur de la démarche synodale.
La synodalité développe un esprit de participation à l’image d’une ligne de crête en montagne qui évite deux dangers : le cléricalisme d’une part et la passivité de l’autre. Le prêtre demeure un serviteur de la communauté chrétienne. Il n’est pas le seul détenteur de la Vérité ni le seul décideur dans la paroisse. Par ailleurs, il arrive souvent que les laïcs nourrissent le cléricalisme dans une passivité et dans un absentéisme qui les arrangent. La paroisse devient alors l’affaire du prêtre tandis que les laïcs feraient appel à des services du culte selon les besoins.
L’Église, Corps du Christ, a besoin de l’action de chacun de ses membres. La foi grandit dans les rassemblements liturgiques, le partage des responsabilités et la transmission de l’Évangile notamment par la catéchèse.
La synodalité part de l’écoute de la Parole de Dieu dans le silence du cœur, elle se déploie dans la conversation spirituelle, la découverte de l’œuvre de l’Esprit Saint en chacun, la relecture personnelle des événements et l’engagement responsable dans l’Église, Famille de Dieu.
La synodalité se comprend en la pratiquant dans le couple et dans la famille à l’image de cercles concentriques qui partent du cœur et des relations de proximité pour se répandre dans la vie professionnelle et sociale à évangéliser.
Au rythme du cœur, systole et diastole, les chrétiens se rassemblent et ils sont envoyés vers les autres. Ils donnent et ils reçoivent, ils reçoivent en apportant leur expérience et leur connaissance du mystère de Dieu ; ils deviennent meilleurs au contact des autres. Le Fils de Dieu s’est donné aux hommes dans l’Incarnation en se recevant d’eux en la personne de la Vierge Marie, dans la petitesse, le besoin et la vulnérabilité.
Le disciple de Jésus ne fuit pas le monde : « Je ne te prie pas de les enlever du monde mais de les garder du Mauvais » (Jn 17, 15). Si des philosophes stoïciens ont avoué se sentir moins hommes dans les rencontres des hommes, il n’en va pas de même des chrétiens qui vivent les rencontres humaines comme « le sacrement du frère » où le Christ lui-même se rend présent (cf. Mt 25,31s). Dieu se révèle souvent à travers le prochain. L’Esprit Saint répand sa lumière pour discerner la volonté de Dieu aux disciples rassemblés au nom de Jésus. « J’ai besoin de la vérité des autres », aimait à déclarer loin de tout relativisme le bienheureux évêque dominicain Pierre Claverie (+1996).
Exercice de communication et de communion, la synodalité favorise la mise en commun des biens spirituels et matériels, dans le partage des connaissances et des forces. Démarche d’« extase », c’est-à-dire de sortie de soir, la synodalité permet le dépassement de la peur du changement et de l’innovation. Le chrétien quitte alors sa zone de confort pour ouvrir son intelligence à la nouveauté, son cœur aux expériences des autres et sa volonté dans un lâcher-prise, mort de l’ego frappé d’aveuglement, afin de renaître au-delà des préjugés et des idées toutes faites à la Vie nouvelle que Dieu donne, expérience de résurrection dans le passage des ténèbres du repli sur soi à l’élan de l’annonce joyeuse de l’amour lumineux vainqueur de la mort.
Jésus est ressuscité dans le tombeau devenu « le berceau du Premier-né d’entre les morts, prémices d’une multitude de frères ». Jésus le Christ continue de ressusciter dans nos tombeaux : orgueil, désespoir, arrogance. Dieu peut-il faire du neuf dans ma vie ? Oui, par la foi. L’Apocalypse le révèle : « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21,5).
Discerner des projets à réaliser : facteur de développement
La synodalité à travers sa méthodologie de discernement en commun favorise la mise en œuvre des projets et du développement.
La prière et l’action se nourrissent mutuellement : « Voir Dieu en toute chose et toute chose en Dieu ». Le dialogue en réunion débouche sur des actions pour le bien commun.
La synodalité peut ainsi devenir source d’innovation, de charité efficace et développer le potentiel de chacun dans une vision d’ensemble.
L’esprit synodal convient aussi à la pédagogie scolaire et à la catéchèse en faisant émerger des valeurs fondamentales : sens de la responsabilité, travail en équipe, confiance en soi, capacité d’adaptation et d’évaluation…
Voici résumé en 12 idées clés les possibilités de relier l’esprit synodal à la pédagogie de projet comme facteur de développement :
1. Changements sociaux et pédagogie de projet : Les changements sociaux commencent à l’école, et la culture du projet favorise le développement personnel, social et économique en valorisant l’innovation et la participation.
2. Concept de projet : Un projet est une vision proactive qui implique des activités visant des objectifs clairs avec un budget et des délais précis, représentant un processus d’apprentissage actif.
3. Types de savoirs : La pédagogie de projet développe divers savoirs (savoir-être, savoir-faire, savoir-vivre, savoir transmettre) en encourageant l’apprentissage par la pratique.
4. Capital humain et capital matériel : Le développement économique repose sur le capital humain autant que sur le capital matériel, nécessitant des compétences, la collaboration, et la planification.
5. Obstacles psychologiques et culturels : Le sous-développement est souvent lié à des facteurs tels que l’individualisme, la corruption, et la faible capacité à travailler en équipe.
6. Projets variés : Les projets peuvent être de nature diverse, allant de la construction d’écoles à l’organisation de pèlerinages, chacun nécessitant une rigueur organisationnelle et budgétaire.
7. Rôle de l’éducation et de la catéchèse : La culture du projet peut être intégrée dans l’enseignement et la catéchèse pour favoriser dès le plus jeune âge un esprit démocratique, participatif, et innovant.
8. Étapes fondamentales de la gestion de projet : La gestion de projet inclut cinq étapes : 1) étude de faisabilité, 2) préparation (planification et organisation), 3) exécution, 4) suivi et contrôle et 5) évaluation.
9. Importance du temps et de la préparation : Une préparation minutieuse est essentielle, incluant la clarification des objectifs, la méthodologie, et les responsabilités au sein de l’équipe.
10. Communication et leadership : Une communication interne et externe efficace, ainsi qu’un leadership clair, sont cruciaux pour la réussite d’un projet.
11. Évaluation post-projet : Chaque projet doit être évalué pour tirer des leçons, que ce soit des réussites ou des échecs, afin de guider les futurs projets. Réussites et échecs font partie intégrante du processus d’apprentissage.
12. Approche spirituelle et collaborative : Le projet se nourrit de la collaboration, de l’intelligence collective, et également de la prière et du discernement, créant ainsi une dynamique d’amélioration continue.
La synodalité peut ancrer le changement en mode de projet de manière à dépasser le refus ou la résistance à l’innovation [2]. Le processus de la synodalité contribue à l’appropriation des projets nouveaux en pastorale dans une pédagogie active et participative.
Fr. Manuel Rivero O.P.
Saint-Denis/La Réunion, le 10 octobre 2024.
[1] Voir Michel BACQ et une équipe Esdac, Pratique du discernement en commun, Christus-Lessius. Éditions jésuites 2022.
[2] Voir Pierre-Yves Boyer, Quand les résistants deviennent des parties prenantes : une approche du changement organisationnel comme processus d’apprentissage, RIMHE - Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise, n°28 - Automne 2017.