Le frère Manuel Rivero O.P. n’a pas fini de nous émerveiller avec la présentation de « l’apôtre des prisons », le bienheureux père Jean-Joseph Lataste (1832-1869), un dominicain envoyé prêcher à des femmes détenues à Cadillac (près de Bordeaux), condamnées aux travaux forcés dans des conditions abominables. Une expérience qui bouleverse sa vie. Un parcours de saint qui montre la présence de l’Amour de Dieu au cœur même des plus grandes détresses.
Parmi les chrétiens, qui ont été marqués par l’univers de la prison et qui ont à leur tour marqué la manière de vivre la foi en détention, figure le frère dominicain, Jean-Joseph Lataste. Envoyé prêcher une retraite dans la prison pour femmes de Cadillac, près de Bordeaux, le jeune prêtre découvre le dur quotidien des condamnées. L’odeur lourde et repoussante des lieux d’enfermement, le font reculer. Mais il se reprend en avançant pour leur dire : « Mes chères sœurs ». Conversion qui vient de son cœur miséricordieux, purifié par les épreuves, la Parole de Dieu et la prière. Dans cette prison où le meilleur de la vie semble finir, le père Lataste commence une nouvelle étape apostolique, fruit d’une vocation particulière et d’un charisme accordé par l’Esprit Saint pour le salut des âmes.
Ces femmes condamnées, qui travaillent de longues heures par jour dans le silence et la discipline, vont « se relever comme des fleurs après la pluie » en écoutant les prédications qui actualisent la Parole de Dieu mise par écrit dans la Bible. Dans la lumière de la foi en Jésus Sauveur, le père Lataste mettra en lumière l’égale dignité des personnes et le salut commun aux prisonniers et à ceux qui dans la liberté pourraient s’estimer justes : « La main de Dieu qui relève les uns est la même main de Dieu qui empêche de tomber les autres ».
Loin de toute hypocrisie ou arrogance, les enseignements évangéliques du nouvel aumônier de prison remet chacun à sa place : tous les hommes sont pécheurs et tous peuvent accéder au salut par la foi en Jésus le Christ. La miséricorde divine se déploie envers ceux qui sont tombés et de manière préventive par pure grâce à l’égard de ceux qui échappent à la chute. L’Esprit Saint et ses dons précèdent l’arrivée des missionnaires. C’est pourquoi le père Lataste s’exclame : « Il y a chez les grands pécheurs, chez les grandes pécheresses, ce qui fait les grands saints ». En chaque personne humaine il y a des graines de bandit et des graines de sainteté. En chacun se trouve caché le désir de Dieu et d’aimer qui pousse sur le terreau delà conscience qui appelle à faire le bien et à éviter le mal. « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (I Tim 2,4), aussi les dons de Dieu se développent-ils comme les bonnes semences grâce au soleil et à l’eau vivifiante de l’Esprit Saint.
Le père Lataste a ainsi contemplé l’œuvre de Dieu dans les cœurs des personnes détenues. Ces femmes épuisées par le travail ont choisi dans la joie de passer des heures d’adoration devant le Saint-Sacrement. Si sainte Catherine de Sienne (+1380) avait témoigné des merveilles de Dieu vues dans une extase, le père Lataste va témoigner des merveilles de Dieu contemplées en prison.
Homme de prière silencieuse, attaché au modèle de foi et de fidélité de saint Joseph, le père Lataste avance dans sa vie contemplative à la prison de Cadillac. Habitué à chercher Dieu dans l’oraison silencieuse et la prière liturgique, il reçoit maintenant la connaissance et le rapprochement d’avec Dieu de la part des personnes détenues. S’il donne la grâce de Dieu par la prédication et les sacrements du pardon et de l’eucharistie, les personnes détenues lui font aussi éprouver la grâce de Dieu par leur exemple de conversion et par la bonté de leur humanité bien plus grande que leurs fautes. Le père Lataste sanctifie les condamnées et les condamnées le sanctifient. Il reconnaît devenir meilleur à leur contact sans oublier la puissance surnaturelle de la prière des prisonniers qui crient vers Dieu dans la souffrance et dont il est bénéficiaire. Avec Dieu, le meilleur est toujours devant. Dans la Bible, l’Esprit Saint se manifeste et il agit dans l’histoire en donnant rendez-vous dans le futur. Dieu ouvre des chemins de lumière et de bonheurs inattendus. Afin d’ouvrir la vie religieuse aux femmes au passé trouble, le père Lataste fondera « Béthanie » à Montferrand-le-Château (Doubs. France). La vocation religieuse dominicaine rassemblera ainsi des femmes aux parcours divers et difficiles autour du seul maître, Jésus le Christ. Celles qui ont connu la prison ou la prostitution n’en parleront plus sauf lors de la retraite spirituelle annuelle si nécessaire.
Le père Lataste tenait à la discrétion car « Dieu ne s’intéresse pas à ce que nous avons été mais à ce que nous sommes ». Encore aujourd’hui des lettres adressées au père Lataste avec des demandes de grâce arrivent au couvent de « Béthanie » ; elles sont déposées telles qu’elles sur son tombeau ; le père Lataste « les ouvre et les lit » au Ciel. Dans le sillon de la miséricorde prêchée par le père Lataste est née aux Etats-Unis, dans la prison de Norfolk, une fraternité laïque dominicaine « Notre-Dame de la miséricorde » qui rassemble des condamnés à de très longues peines. Le droit américain leur permet de se réunir dans la prière, l’étude et la louange. Ils témoignent du bonheur de croire et d’aimer Jésus. Lors du chapitre général de Providence (U.S.A.) en 2001, les frères capitulaires ont reçu de belles fleurs en papier fruit du travail artistique des détenus laïcs dominicains de Norfolk. Présent à ce chapitre électif, j’ai reçu une belle fleur de couleur bleue qui a égayé ma bibliothèque pendant des années. Chaque fleur demandait une heure de labeur et nous étions plus de cent frères à recevoir ce cadeau qui était aussi un témoignage de foi et de fraternité.
Fr. Manuel Rivero O.P.