Un prêtre du diocèse partage sa réflexion suite aux récentes révélations d’agressions sexuelles commises par l’abbé Pierre sur des femmes et des enfants. Après l’onde de choc personnelle, ecclésiale et sociétale, il nous invite à prendre conscience que les vrais héros ne sont pas là où les médias nous imposent de consommer. Chacun à son niveau peut et doit agir pour faire valoir la dignité de toute personne.
Choc frontal : l’usage du pseudonyme tout à l’honneur de l’action de résistance à l’occupant, pendant la Seconde Guerre mondiale, se mue soudainement en marque d’abomination et de tromperie.
Henri Grouès, à l’état civil, aura ainsi, pendant des décennies, couvert d’honorabilité des abus sexuels sur des personnes vulnérables, au sens où elles n’ont pu ni le repousser ni le dénoncer, certaines l’ayant fait sans être entendues, ce qui rend le crime encore plus odieux.
S’ajoute à ce déni public de justice le mal enduré et ses conséquences à long terme pour chacune des victimes. L’une des moindres n’est-elle pas dans la subversion de la boussole intérieure ? Car l’acte subi a littéralement renversé, mis à terre tous les repères, ce à partir de quoi l’être de l’abusé s’orientait dans l’existence, y trouvait la direction à suivre. Comme un tsunami, l’abus a tout recouvert, et cet épisode de noyade, aussi court qu’il ait pu être, a duré suffisamment longtemps pour corrompre et altérer.
Le pseudonyme Abbé Pierre assurait l’immunité. Il conservait au personnage public une authenticité insoupçonnable ; le gratifiait d’une posture de droiture et de renoncement à soi pour des combats de plus grande valeur que lui-même ; il incarnait l’acte héroïque du sacrifice pour une grande cause.
Choc brutal : du jour au lendemain, cette charge énorme de valeurs individuelles et collectives est souillée. Le pseudonyme dévisagé ne renvoie plus qu’à la bassesse d’un homme prisonnier de ses pulsions sexuelles. Henri n’aurait été qu’un pauvre gars empêtré dans les errements d’une double vie.
Sauf que, Homme public, il représentait et engageait plus que lui-même. A-t-il eu conscience que sa dérive personnelle produisait un effet délétère qui, un jour ou l’autre, rejaillirait sur la société ? Il sapait par son comportement les valeurs qu’il incarnait aux yeux de beaucoup, ces valeurs même qui fondent un vivre ensemble, une Nation. Subversion terrible, subversion mortifère.
La ressentir, c’est déjà réaliser que notre attention s’est trouvée trop captée par de telles idoles adulées. Le réveil est certes difficile et douloureux. Il est cependant salutaire car il nous oblige à nous émanciper, en quelque sorte, de vivre par procuration : c’est la prise de conscience que les vrais héros ne sont pas là où les médias nous imposent de consommer.
Ils sont « nous », armée invisible qui avance et agit pour faire valoir la dignité de toute personne. Ce « nous » qui rassemble et entraîne dans la même conspiration d’intention tous ceux dont la considération première est la capacité d’agir que chaque être humain recèle en lui-même ; et qui, jour en jour, relèvent le défi de l’éveiller et de la stimuler, sans autre récompense que de voir son prochain se dresser dans le grand vent de l’avenir et y apporter sa pierre ; la sienne propre, authentique, sans habillage ni faux semblant, brute d’origine et déjà si précieuse.
Pierre sacerdotale qu’aucun imaginaire déviant ne vient mal ciseler. Pierre d’autel sur lequel l’humanité accueille son vrai visage. Pierre de résilience incorporée à la multitude par laquelle se construit le mur de la fraternité, véritable rempart à tout abus, et socle fondateur où s’enracine notre devenir commun. Pierre ainsi transfigurée en pain de vie, offrande pour tout simplement dire Merci !
Père Laravine