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Grève au Quotidien : comment rester insensible ?
Article mis en ligne le 20 juillet 2010

par Françoise Adam de Villiers

Le Quotidien de La Réunion commence ce mardi 20 juillet son neuvième jour de grève. Ce n’est pas la difficulté à se mettre d’accord qui, semble-t-il, fait durer cette grève, mais bien une immense difficulté à dialoguer...

Depuis une semaine maintenant, l’un des quotidiens de notre île ne paraît plus. Ses salariés réclament une augmentation pour les moins payés d’entre eux, une prime exceptionnelle pour les autres. Les dirigeants refusent. Un conflit relativement banal mais qui revêt un caractère particulier.

D’abord parce qu’il touche la presse. Les médias n’ont pas l’habitude de faire parler d’eux. Ou alors par leur manière de traiter tel ou tel événement. Mais le plus souvent, c’est l’événement en lui-même, ou les personnes dont il est question, qui font causer. Pas celles et ceux qui vont sur le terrain, prennent les photos, frappent sur les claviers et collaborent, chacun à son poste, à la réalisation du journal et à l’existence de l’entreprise.

Ensuite parce que ce conflit se passe au Quotidien, journal dont la première parution, il y aura bientôt trente-quatre ans, a tourné une page de l’histoire des médias à La Réunion. Sans doute même une page de son histoire tout court. Ce jour-là, une certaine idée de l’information a commencé à être mise en œuvre. Non sans susciter quelque scandale à l’époque… Mais quand l’un entrouvre une porte, tout le monde s’y engouffre. Le Quotidien de 1976, en décidant de traiter sur un pied d’égalité nantis et miséreux, gauche et droite, élus et citoyens ordinaires, en donnant la parole non seulement à ceux qui la détenaient déjà, mais encore à ceux dont on étouffait la voix, et surtout « aux petits, aux obscurs, aux sans grade », tous ceux, si nombreux, qui n’osaient même pas ouvrir la bouche… ce Quotidien-là a largement contribué à sortir La Réunion de sa chape de silence, d’ignorance, de mésestime d’elle-même. Ce que nous sommes aujourd’hui lui doit beaucoup.

Comment, alors, rester insensible à cette grève ?

Risquer leur voix : c’est bien ce que font les grévistes du Quotidien. En ayant prêté attention à ce sentiment d’injustice qui agit comme un ressort pour mettre en mouvement. En lançant leur action, et en la poursuivant, ce qui demande un vrai courage. En se mobilisant ensemble : 70% des salariés de l’entreprise, des catégories de personnel différentes. Sans compter le préavis de grève déposé par les livreurs de Run Presse, comme si la hardiesse des uns éveillait celle des autres. Lutte contre ce que l’on perçoit comme une injustice, courage, solidarité : des valeurs qui comptent.

De la pensée des dirigeants, l’on ne peut pas dire grand chose pour l’instant. La seule réaction enregistrée à ce jour a été une contre-proposition jugée méprisante par les salariés. La balle est dans leur camp.

Une grève, surtout une grève qui dure, est toujours un échec. Parce qu’elle est le signe d’un dialogue rompu. Ou qui s’est tellement effiloché au fil des ans qu’on ne sait plus comment le mener. Ou qui n’a jamais existé. On ne se parle plus et tout espoir de se faire entendre repose alors sur un rapport de forces.

Que sortira-t-il de ce bras de fer entre salariés et dirigeants ? Les uns et les autres sauront-ils prouver que d’une triste situation, il est possible de faire naître de bonnes choses ? Il suffirait peut-être pour commencer de se rappeler que le dialogue est à la fois le signe et le garant du bon fonctionnement de l’entreprise. Que les hommes sont « le patrimoine le plus précieux »(1) de celle-ci. Et puis… qu’ils osent rêver d’un Quotidien qui saurait, dans la fidélité à l’inspiration des débuts, ré-inventer pour La Réunion une presse libre, audacieuse, intelligente et drôle à la fois ! Et qu’ils réalisent leur rêve.

(1) Jean Paul II, Centesimus Annus, n°35

Les grévistes du Quotidien ont ouvert, sous ce nom, un page sur Facebook et mis en ligne une pétition accessible à ceux qui souhaitent les soutenir.


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