Nous apprenons avec tristesse le décès du père Louis Dattin, jésuite, survenu hier en la fête de la Toussaint.
Son corps sera exposé à La Chapelle de la Résidence, 31 rue Sainte-Anne à Saint-Denis, ce jeudi 2 novembre de 13h à 21h.
Les funérailles seront célébrées vendredi 3 novembre à la Délivrance.
Arrivé à La Réunion en 1984, le père Dattin a été plusieurs années curé de la paroisse N.-D. de l’Assomption à Saint-Denis, avant d’être nommé en 1991 chapelain de la Résidence du Sacré-Cœur. Il a notamment initié la mise en place du catéchuménat dans le diocèse. Depuis plus de vingt ans, il offrait ses services à la paroisse N.-D. de la Délivrance, accueillant, écoutant, donnant le sacrement de pénitence et de réconciliation.
En août 2017, à l’occasion de son 92e anniversaire, de ses 60 ans de prêtrise et de ses 20 ans de service à N.-D. de la Délivrance, le mensuel Église à La Réunion l’avait interviewé. Retrouvez ci-dessous cet entretien.
Interview
Dans toute vocation, il y a deux temps : celui de la préparation du « terrain » et celui de l’appel. Pour vous, sur quel terrain a germé la vocation ?
Je suis né dans une famille extrêmement chrétienne. J’étais l’aîné d’une demi-douzaine de frères et sœurs, un enfant assez difficile, je faisais des caprices, des colères épouvantables... Nous avions l’habitude de prier en famille. Mon père était médecin ; il passait toute sa journée du mardi à soigner dans les hospices et à recevoir gratuitement les malades. Ma mère, elle, avait pensé à la vocation religieuse. Le terrain était bon pour que naisse la vocation !
D’un point de vue scolaire, j’ai suivi un parcours normal, sauf en primaire où nous avions des cours par correspondance et une institutrice à la maison.
À partir de la sixième, j’ai été au collège Sainte-Croix du Mans, en internat. J’ai rejoint ma famille à l’arrivée de la guerre de 40 et j’ai étudié en troisième et en seconde au Lycée Vendôme. Puis, sous l’Occupation, j’ai à nouveau été dans un établissement tenu par les jésuites, à Saint-Grégoire de Tours. Cette période a été importante pour ma vie spirituelle, qui m’a plus « travaillé » à partir de la seconde : je suis passé de la foi transmise à la foi acquise.
Puis est venu le temps de l’appel lui-même. Pour vous, comment s’est passé ce moment fort ?
En 44-45, Tours était sous les bombardements. Je m’étais engagé dans la Croix-Rouge, je faisais partie d’une équipe d’urgence, qui s’occupait des victimes, d’abord les blessés, puis les morts. J’ai été secoué, affectivement, intellectuellement et spirituellement par ce spectacle de désolation. J’ai commencé à me poser des questions, à réfléchir sur le sens de la vie. J’avais 18 ans.
Et à la Libération, fraîchement reçu au bac, je suis rentré au noviciat à Laval, chez les jésuites.
Car vous n’avez pas seulement choisi d’être pêtre, mais aussi d’être religieux... Pourquoi les Jésuites ?
Eh bien, il y en avait plusieurs parmi les membres de ma famille ! Le père Vetillard, un grand-oncle de ma mère, le père Louis Lenoir, de qui j’ai hérité mon prénom... Et puis, j’avais grandi dans des collèges jésuites, auprès de pères qui nous formaient très bien spirituellement. Le père Liran a été pour moi un vrai conducteur.
Après le noviciat et des études de littérature, vous avez été nommé professeur au collège du Bon Secours à Brest.
Professeur d’élèves de quatrième. La ville était en ruines. L’internat était dans des baraques, chaque matin on déménageait les lits, on les remplaçait par les tables... une misère ! L’après-guerre était peut-être plus dure que la guerre elle-même.
Poursuivant votre formation de jésuite, vous avez ensuite étudié la philosophie au sein du « scolasticat »...
Ce qui m’a fait un peu réfléchir ! J’ai une capacité d’absorption assez forte de ce que pensent les autres, malgré une pensée assez peu personnelle... une vraie éponge !
Puis vous avez étudié la théologie...
Oui, pendant quatre années, à Fourvière (Lyon). Chez nous, on est ordonné au bout de ces trois ans, puis il y a encore une année d’études tout en étant prêtre. Pendant cette quatrième année, j’ai exercé mon ministère dans plusieurs paroisses, j’ai beaucoup confessé... Un prêtre qui continue à être étudiant : je trouve que c’est une bonne formule !
Mais des paroisses, vous êtes retourné aux collèges...
D’abord à Sainte-Croix, où j’ai été préfet des études du « petit collège » (NDLR : école primaire), puis chargé de la construction d’un nouvel établissement, tout en étant aumônier des sixièmes, cinquièmes... Il y avait une continuité, qui à mon avis est capitale dans l’éducation.
Par la suite, vous avez eu affaire aussi à des plus grands...
De 66 à 82, au collège Saint-François Xavier de Vannes. C’étaient des quatrième-troisième en pleine anarchie de l’adolescence... et en plein mai 68 ! Des années dures, avec beaucoup de remises en question. Mais notre collège était novateur : déjà, avant 68, nous avions pris l’habitude de faire fonctionner les élèves par équipes, chaque équipe étant dotée d’un « chef », on leur donnait des responsabilités... Et j’ai eu l’occasion de faire beaucoup de choses à côté.
Notamment du théâtre. On m’a dit que vous aviez été nommé président d’honneur d’une compagnie théâtrale ?
Il y avait une équipe de théâtre dans le collège et l’on devait produire un spectacle deux fois par an. Ce qui m’a permis de devenir plus familier d’auteurs comme Anouilh, Pagnol... Et de lier amitié avec le metteur en scène de la Compagnie des Cabaniers de la ville de Vannes. Nous avons si bien travaillé ensemble que j’ai fini par être intégré dans la commission extra-municipale de la culture, qui mettait au point les programmes proposés dans tous les villages alentour. C’était passionnant.
Vous êtes vraiment monté sur les planches ?
Pour de petits rôles ! Dans cette Compagnie, nous étions tous un peu metteurs en scène, un peu comédiens.
Et pendant les vacances, vous aviez une occupation différente...
J’ai été aumônier des colonies de vacances de l’Union catholique des cheminots français. J’ai vraiment admiré la solidarité entre eux : qu’ils soient ingénieur polytechnicien ou gardien de passage à niveau, c’étaient avant tout des cheminots.
Après presque trente ans dans les collèges, comment vous êtes-vous finalement retrouvé en paroisse, et à La Réunion qui plus est ?
Depuis plusieurs années, je disais au supérieur provincial : je suis disponible pour autre chose. Et il me répondait : les collèges, ça prépare justement à toutes les autres choses ! Finalement, en 1982, j’ai été envoyé à Châlus (Haute-Vienne). C’est là que j’ai fait mes premières armes pastorales : mariages, baptêmes... et jusqu’à trois ou quatre enterrements par semaine, dans des églises souvent magnifiques... mais en hiver, dans un froid terrible !
Un jour de 1984, le provincial m’appelle au téléphone et me dit : « Tu as froid ? Je vais t’envoyer à La Réunion... » C’était une bonne nouvelle ! J’avais déjà des liens avec cette île. À peine arrivé, j’ai été nommé à N.-D. de l’Assomption (Saint-Denis) et là, je me suis « éclaté » pendant sept ans ! J’assurais en même temps des services à la Cathédrale. J’étais heureux comme tout.
Mais en 1991, nouveau tournant : vous avez été nommé chapelain de la Résidence. Passer d’une paroisse à une chapelle, même très fréquentée, n’a pas été si facile... mais vous veniez de lancer un grand projet en chantier : le catéchuménat. Comment vous est venue cette idée, dans un diocèse si religieux ?
À la Résidence, je rencontrais quelquefois des personnes qui disaient : je ne suis pas baptisé, comment faire pour entrer dans l’Église catholique ? Et puis, j’ai suivi le cheminement de l’une d’elles, jusqu’au baptême, cela s’est très bien passé et ça m’a donné des idées. J’ai dit à l’évêque : voilà une piste à suivre !
Mais le catéchuménat s’est aussi développé beaucoup grâce à Sr Georgette Cheung, très active, pleine d’initiatives. Une équipe s’est mise en place, une très bonne équipe, avec des familles qui recevaient chez elles les catéchumènes : c’était formidable, ça ! Et chaque année, tous les catéchumènes étaient baptisés dans une même paroisse, cela donnait beaucoup de visibilité.
Vous vous êtes occupé du catéchuménat jusqu’à votre retour en paroisse, en 1997. Vous avez assuré de nombreux autres services au plan diocésain. Mais depuis vingt ans, vous êtes surtout fidèle à la Délivrance.
Et je m’y trouve bien ! J’ai connu ici trois curés, très différents : le père Samy Annaraj, jésuite comme moi, le père Lilian Payet, le père Pascal Chane Teng. Mon temps se passe en entretiens avec tous ceux qui le souhaitent. Et je suis très heureux. Je ne me sens pas inutile. Merci Seigneur !
Sur son site internet, la Conférence des évêques de France donne cette définition du prêtre : « Celui qui reçoit la mission de rendre présent le Christ parmi les hommes... ». Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je ne sais plus qui disait : « Le prêtre, c’est celui qui met du levain d’éternité dans les terrains de l’instant »... C’est tout à fait cela. Et c’est d’autant plus urgent que le Christ est de moins en moins dans notre société.
C’est ce que dit saint Irénée : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme se fasse Dieu ». L’eucharistie, c’est faire descendre Dieu jusqu’à l’homme, et faire monter l’homme, la société, vers Dieu. Cet aller-retour, c’est le centre de toute la vie du prêtre. Pour le prêtre lui-même, c’est capital, et je ne peux être le « pardonneur » ou « l’instructeur » que si j’ai cette eucharistie.
En ce jubilé d’ordination, quelle Parole vous habite ?
L’évangile du jeune homme riche. J’ai eu toutes les grâces au début... mais je n’avais pas de grands biens ! Et je ne m’enorgueillis pas car c’est la grâce de Dieu qui a tout fait.
Le père Dattin est un grand lecteur, aux goûts éclectiques, avec peut-être un petit faible pour l’histoire. « Mon auteur préféré ? C’est Erasme. Pour moi, c’est une vedette. Chaque fois que je peux lire quelque chose de lui, je le fais. Et forcément, j’ai un faible pour Montaigne. Et puis Pascal ! »
Dans la même ligne, il cite aussi volontiers François Cheng – « actuellement, je le lis beaucoup ». Côté romans ? « Ruffin ! Oh ! et puis Christian Bobin. Ça, j’aime ! »