Des centaines de milliers de réfugiés aux portes de l’Europe, des millions de migrants de par le monde, une crise de l’asile à l’échelle planétaire… Et nous, à La Réunion, silencieux, comme rendus muets par un phénomène qui nous dépasse… Où alors pensons-nous que cela ne nous regarde pas ? Notre île, trop loin des routes de l’exode, ne serait tout simplement pas concernée. Les naufragés du bras de mer d’Anjouan à Mayotte nous crient le contraire !
Mais ce silence est aussi le mien, ma propre difficulté à me laisser interroger… Et pourtant, je sais bien que je ne peux pas être d’accord lorsque les personnes qui cherchent l’hospitalité font l’objet d’un tri : d’un côté ceux qui veulent mieux gagner leur vie, de l’autre ceux qui fuient guerres et dangers ; d’un côté ceux qui sont musulmans, de l’autre ceux qui sont chrétiens… Or j’appartiens au pays des droits de l’homme : « Tous les hommes naissent libres et égaux… »
Oui… mais… ai-je pour autant envie de vivre avec n’importe qui ? Ma nationalité me sert de rempart pour tenir à distance, hors de mes frontières, celui dont l’identité m’inquiète… me fait peur… est à mes yeux repoussante… Et justement, à bien y regarder, ce malaise n’est pas en lui, il est en moi ! Des analyses parues dans les journaux de la situation créée par les exilés l’affirment : « L’Europe n’est pas glorieuse parce qu’elle ne va pas bien. Elle ne sait pas où elle va et n’a plus de dynamique politique. Les Européens, et a fortiori les Français, n’ont plus confiance en eux-mêmes. Or on a du mal à accueillir les autres lorsque soi-même l’on ne se sent pas bien » (Patrick Weil).
Oui, le réfugié me dérange parce que lui, il a osé prendre la route de l’exode pour se diriger vers un ailleurs qu’il considère comme une promesse. Il a ce que j’ai perdu : la volonté d’inventer une nouvelle vie ailleurs. Et il est en train de me dire que cet ailleurs est chez moi, là où moi je passe mon temps à me plaindre !
Combien de temps vais-je encore résister à faire de cet ailleurs « notre maison commune » ? Et c’est de toutes façons le sens de l’histoire des sociétés humaines : « La littérature la plus ancienne, celle qui nous a formés et instruits depuis des millénaires, nous a décrit l’expérience déchirante et inestimable de celui qui quitte sa patrie et connaît l’exil. C’est à lui que nous devons notre monde et notre identité, racontent les Anciens. Son récit est devenu le nôtre. Sa migration est notre fondation » (Frédéric Boyer). En est-t-il autrement pour La Réunion ? Non, bien sûr !!!
21 septembre 2015, îlet à Malheur.