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Comment veiller sur le bien de l’autre
Article mis en ligne le 25 mai 2018

par Evelyne Gigan

À quoi ça sert d’être bienveillant ? Pour Marc Thomas, « ça sert à construire un monde fraternel » mais avant tout « ça sert à être bien avec soi ». Et non, ce n’est pas de l’égoïsme !

Qu’est-ce que la bienveillance ?

C’est un mot qu’on confond souvent avec une gentillesse molle. Celle-ci amène à penser qu’il faut fermer les yeux sur le mal et se dire que tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil.

Pour moi, le mot bienveillance, c’est tout autre chose. C’est une vigilance au bien dans ce qui se dit, ce qui se fait, ce qui se ressent. Cette vigilance-là demande des choix parfois difficiles et exigeants, des non à l’injustice, au mépris, au jugement, au reproche, à la violence. C’est un vrai rapport de forces où il s’agit de répondre à ce qui détruit, d’abord en disant non, puis en proposant des solutions constructives.

Être bienveillant, c’est donc viser le bien de l’autre. Mais comment sait-on ce qui est bien pour lui ?

En lui demandant. Je me refuse de savoir ce qui est bien pour l’autre, même si j’ai des hypothèses ou des idées. Mais il n’y a que lui qui sait ce qui est bon pour lui. Combien de fois les gens nous disent « tu devrais faire ceci, tu devrais faire cela » ? Quand ils disent ça, ils parlent de ce qui est bon pour eux. Moi, je ne sais pas ce qui est bon pour l’autre tant que je ne lui ai pas demandé. Par contre, je peux effectivement, par un regard bienveillant, l’accompagner pour qu’il trouve lui-même ce qui est bon pour lui.

À quoi ça sert d’être bienveillant ?

Je pourrais répondre ça sert à construire un monde fraternel et bien sûr j’y crois. Mais j’ai envie de commencer par répondre que ça sert à être bien avec soi. Parce que lorsque l’on passe son temps à être dans la malveillance, à juger, à critiquer, à être pisse-vinaigre, on n’est pas bien avec soi. La bienveillance permet de respecter ce que je suis et je ne suis pas quelqu’un qui est venu pour démolir l’autre. Évidemment la bienveillance, ça sert à établir entre les êtres humains, y compris quand on n’est pas d’accord, des ponts et des liens.

La bienveillance commence quand j’accepte que l’autre soit différent de moi et elle donne tous ses fruits quand je découvre que la différence de l’autre peut être pour moi une ressource et que je peux être pour lui une ressource.

Quels sont les fruits de la bienveillance ?

La sérénité, la paix, le bonheur, le bien-être. Quand j’arrête de vouloir convaincre l’autre que j’ai raison ou que j’arrête de me culpabiliser. La bienveillance, c’est d’abord porter un regard accueillant, serein, paisible sur soi et sur les autres. Si je porte un regard bienveillant sur mes limites et sur mes erreurs et que je les accueille, je vais peut-être pouvoir les dépasser, les débloquer, les résoudre. Quand une maman ou une infirmière soigne une plaie et la désinfecte, elle le fait avec une douceur, une approche délicate qui fait attention non seulement à la plaie, mais aussi à la personne blessée : c’est ça la bienveillance et c’est ça qui traite, qui soigne, qui permet de cicatriser et de guérir pas seulement les plaies du corps, mais aussi les plaies du cœur.

La bienveillance est-elle innée ou acquise ?

Je pense qu’il y a en nous des forces contradictoires. Il y a des forces d’amour, de paix, de sérénité, de bonheur et en même temps, il y a des forces de violence, d’énervement, de rejet, de méfiance de l’autre. Il y a peut-être une part lumineuse et une part sombre, donc je me dis, j’ai toujours à faire un travail pour que la part lumineuse l’emporte sur la part sombre, pour que la part sombre révèle la beauté de la part lumineuse.

J’ai l’impression que ce qu’il y a en moi de bienveillance et de malveillance, c’est comme les deux bouts opposés d’un arc, là où on accroche la corde, c’est cette tension entre les deux opposés, c’est cette tension entre mon besoin d’aimer et d’être aimé et mon envie de casser, de détruire. Cette tension entre les deux, c’est ça qui va donner de l’élan à ma bienveillance active.

C’est parce que je sais que je peux être malveillant que je vais choisir d’être bienveillant. C’est parce que je sais que l’autre peut être malveillant que je vais choisir de poser sur lui un regard de bienveillance, car je crois que c’est le seul regard qui peut désarmer sa malveillance.

Qu’est-ce qui entame la bienveillance ?

Quand je ne prends pas soin de moi. Moi, je sens que je deviens agressif quand je suis fatigué, quand j’ai faim, quand je ne vis pas à mon rythme. Donc, si je veux rester bienveillant avec moi-même et avec les autres, il faut que je prenne soin de moi. Ce n’est pas de l’égoïsme, c’est comme un ouvrier qui prend soin de ses outils, qui les nettoie, qui les graisse, qui les range... c’est pour qu’ils fassent bien leur boulot.

Ce qui peut entamer la bienveillance, ce sont aussi des contextes. Je pense à des gens qui, au boulot, travaillent dans des contextes tendus, où ils ne se sentent pas reconnus, pas respectés, où il n’y a pas d’écoute, où la parole n’est pas possible, sinon pour insulter, pour juger, pour rejeter. À force de vivre dans un contexte comme ça, on ne peut plus être bienveillant soi-même et du coup, on se fait du mal, ça peut déboucher sur un burn-out, le suicide ou bien c’est la foire d’empoigne, chacun pour soi, avec des stratégies de fuite ou de destruction de l’autre.

Le burn-out résulte-t-il d’une stratégie de fuite ?

Ce n’est pas une sorte de fuite, c’est de l’épuisement. Quand une pile électrique a donné trop d’énergie sans être rechargée, elle finit par ne plus donner d’énergie. Le burn-out, c’est une alerte : il est absolument nécessaire de se protéger et d’aller aux abris. Parfois, quand le burn-out est fort, on est déjà bien abîmé, il aurait été nécessaire de se protéger bien avant.

Mais qu’est-ce que la fuite ?

C’est quand je m’enferme dans le silence, alors que je pourrais parler. Mais je n’accuse pas ceux qui font ça, parce que je sais que parler c’est difficile, quand on a le sentiment qu’on va se faire démolir si on parle. La fuite ressemble au burn-out, c’est un enfermement en soi. La seule manière de désinfecter les plaies du cœur, c’est de mettre des mots – évidemment il ne faut pas parler à n’importe qui, n’importe quand. La fuite, ça peut être de multiplier des congés maladie tellement j’en peux plus, tellement il y en a marre parce qu’il n’y a pas de solutions. Mais je ne dis pas que tous les congés maladie sont des fuites. Des fuites, c’est la violence, c’est j’en peux plus et au lieu de mettre des mots, je tape, je détruis, je me détruis, je me suicide, c’est une manière de fuir. Je n’accuse pas ceux qui fuient, parfois ils le font parce qu’ils n’ont pas trouvé des solutions, on ne les a pas accompagnés à en trouver. La fuite, ça peut-être dans une entreprise du « je-m’en-foutisme », je pense aux personnels soignants qui peuvent être appelés en cas d’urgence et de nécessité, il y en a qui sont toujours joignables et d’autres qui ne le sont jamais. C’est une manière de fuir... mais je n’ai pas dit qu’il fallait être joignable 24 heures sur 24 non plus.

Comment poser les mots pour désinfecter les plaies ?

Aller voir un psychologue, un ami. L’essentiel pour que la parole désinfecte les plaies, c’est de parler à quelqu’un qui ne va pas juger, qui ne va pas te conseiller d’abord, qui ne va pas chercher la solution à ta place, une personne qui t’écoute, qui t’accueille et te permet de vider ton trop-plein, sans chercher de solution immédiatement. Ça, c’est de la bienveillance, ça s’appelle de l’empathie. Et quelqu’un qui va te respecter suffisamment pour savoir qu’il n’y a que toi qui peut trouver ta solution. Son respect va se transformer en accompagnement, en soutien pour que tu puisses trouver, toi, ce qui est bon pour toi. Ce sont les questions qu’il va te renvoyer, ce sont les propositions qu’il va te faire, mais sans te dire tu devrais faire ça, en te donnant des pistes qui préservent ton autonomie, ton indépendance, tes choix.

Quelles qualités suppose la bienveillance ?

Ça suppose d’être bien ancré en soi pour que ce que l’autre me dit ne vienne pas trop vite me déstabiliser, pour que je ne me mette pas à pleurer avec lui ou à m’écrouler moi aussi. Ça suppose de faire un travail sur soi. Moi, je me suis rendu compte dans ma propre histoire que si à une période de ma vie j’étais agressif, c’est parce que je n’avais pas confiance en moi. Quand j’ai travaillé là-dessus, immédiatement mon agressivité a baissé.

La bienveillance, c’est d’être centré sur l’autre. Je ne suis pas là pour faire du bien à l’autre, parce que là je suis encore centré sur moi qui veut faire du bien à l’autre. Être centré sur l’autre, c’est respecter l’autre dans son rythme, dans sa parole, dans ses besoins. Je pense notamment aux parents. Souvent leurs critères de réussite ne sont pas les chemins de réussite de leurs enfants. Si je veux que mon enfant réussisse, il est mieux de poser un regard bienveillant sur lui. Qu’est-ce que tu aimes ? de quoi as-tu besoin ? quels sont tes désirs ? qu’est-ce que tu aimerais devenir ? Sans céder à ce qui pourrait être des caprices d’enfants, mais en se disant que ses chemins de réussite ne sont pas forcément ceux que j’avais prévu pour lui. Qu’est-ce qu’être bienveillant ? C’est accueillir ce que mon enfant me dit, c’est pouvoir dire à mon enfant ce que sont mes peurs et c’est pouvoir rester en dialogue avec lui. Il faut canaliser sa peur, ne pas se laisser dominer par elle.

Une émotion comme la colère peut aller à l’encontre de la bienveillance, comment la canaliser ?

J’ai envie de retourner les choses. Par bienveillance parfois, je me mets en colère. Quand je vois une personne victime d’injustice, quand je vois la pauvreté qui crie, quand j’entends des paroles racistes.

Dans ma colère, je vais aller chercher l’énergie pour dire non à tout ce qui détruit l’homme, mais je vais chercher cette énergie dans la colère et non dans la violence. La colère est une très belle énergie, c’est celle qui met des limites à l’insupportable, mais parfois on ne sait pas comment la canaliser et ça se transforme en violence. Gandhi et Martin Luther King ont su transformer leur colère en énergie constructive. Gandhi, le grand monsieur de la bienveillance, a levé des foules pour aller au gouvernement dire : nous ne voulons plus de ces injustices. Je crois que beaucoup de gens ont peur de la colère car ils l’associent à la violence.

La bienveillance a-t-elle sa place en politique ?

J’espère, j’aimerais, je souhaite de toutes mes forces que ceux qui s’engagent en politique le fassent dans la bienveillance, dans cette vigilance active. Le service public, c’est bien le service du public, du vivre-ensemble, dans le respect, dans la liberté , dans l’égalité et dans la fraternité. S’engager en politique, c’est vouloir traduire ces valeurs de notre république dans le concret de l’existence de la société. Ça suppose de la bienveillance. C’est ça, construire un monde où il fait bon vivre. Le service de l’homme, de l’être humain, c’est extrêmement complexe quand on est en politique, parce qu’il y a des enjeux et puis tout le monde ne s’engage pas en politique pour le bien-être de la société.

Après pour avoir accompagné des élus ici, je sais à quel point ils sont au centre de tensions extrêmement contradictoires, financières, politiques au sens politicien (au sens « faut l’emporter sur l’autre »). Je sais aussi à quel point il est difficile de rester bienveillant avec des citoyens qui parfois ne pensent qu’à leur intérêt personnel et ont du mal à voir l’intérêt collectif. Je pense que le dialogue syndical en France est parfois marqué par une volonté de combattre pour la justice, mais aussi des rapports de force qui ne sont pas exempts de violence et d’une volonté de triompher sur l’autre.

L’éducation bienveillante est à la mode, qu’est-ce qui change de l’éducation traditionnelle ?

Je n’opposerais pas éducation bienveillante à éducation traditionnelle, parce que dans cette éducation-ci, il y a eu aussi chez certains de la bienveillance. Je pense qu’il y a des modes éducatifs. Je dirais qu’être bienveillant quand on est parent, enseignant, éducateur, c’est savoir que l’enfant est une personne et qu’il a droit à la parole. Souvent on s’imagine, parfois avec plein de bonnes intentions, que l’enfant est trop petit pour pouvoir dire ce qu’il pense et donc on lui demande de se taire : « Quand tu seras grand, tu parleras ». Cette attitude n’est pas bienveillante parce que l’enfant est quelqu’un qui balbutie pour apprendre à parler. Être bienveillant, c’est permettre à l’enfant de trouver une parole, c’est exercer l’autorité avec respect.

Je pense au tuteur qui permet à l’arbre de grandir à peu près droit. Comment il est fait, le lien entre le tuteur et l’arbre ? Si le lien est trop court, l’arbre va être complètement tétanisé, il ne va plus pouvoir respirer et va finir par crever.

Je crois qu’il y a des autorités qui ne laissent pas respirer les enfants ou les jeunes, qui au lieu de leur apprendre à choisir le bien, leur imposent des décisions sans discussion et à partir de là, on rentre dans un cycle de violence, « tu dois m’obéir et tu ne discutes pas". Il y a même des patrons qui parlent comme ça à des adultes ! Les gens qui font ça ont peur que, s’ils discutent, leur autorité soit remise en cause. Je respecte cette peur, mais je pense qu’il faut qu’ils traitent leur peur. Ne faites pas de vos enfants et de vos salariés des victimes de votre peur, parce que le jour où vous vous sentirez partenaire avec votre enfant ou avec votre salarié, ils seront plus motivés parce que vous aurez eu de la bienveillance vis à vis d’eux. La bienveillance est efficace dans la construction de la société et de l’homme.

La communication non violente est un outil pour aider à la bienveillance. Comment s’y prendre pour la pratiquer ?

En situation de tension, de désaccord, on parle de l’autre en lui faisant des reproches, en l’accusant et évidemment l’autre répond la plupart du temps sur le même ton. Ou bien on fait du ladilafé parce qu’on n’ose pas aller voir l’autre, mais on parle de lui en termes négatifs dans notre entourage. Première règle de la communication non violente : si tu veux communiquer avec bienveillance, arrête de parler de l’autre pour le juger et parle de toi pour dire ce que tu ressens, ce que tu acceptes, ce que tu refuses. Plutôt que de dire à l’autre « tu ne m’écoutes jamais », tu vas pouvoir dire à l’autre, « j’ai besoin de te parler, j’ai des choses à te dire ». Certains diront que parler de soi est égoïste, mais tu préfères dire à l’autre « t’es un salaud » ou tu préfères dire à l’autre « j’ai mal quand tu dis ça » ? Qu’est-ce qui est plus violent ?... Dire ce que je ressens, ce dont j’ai besoin, ce que je demande à l’autre, c’est pas de l’égoïsme, c’est être soi et c’est pouvoir demander à l’autre ce qu’il ressent, ce dont il a besoin, ce qu’il attend de moi. Plus je vais parler comme ça, plus les autres vont avoir envie de m’entendre.

Comment faire face à des personnes qui manquent de bienveillance ?

Plutôt que de leur reprocher de ne pas être bienveillantes, je vais d’abord me demander qu’est-ce qui est si difficile pour elles pour qu’elles ne puissent pas être bienveillantes. Il ne s’agit pas d’excuser. Mais si cette personne m’agresse, ce n’est pas parce qu’elle n’est pas bienveillante, ça c’est un jugement ! C’est parce qu’elle souffre et il n’y a qu’elle qui sait pourquoi. Si cette personne m’agresse, c’est pas forcément de ma faute, donc je n’ai pas forcément à me défendre. Il m’arrive d’être agressif avec des gens, non pas à cause d’eux, mais parce que je suis épuisé par ce que j’ai fait avant. Combien de personnes se libèrent sur leur famille des tensions vécues au boulot ? Le problème est qu’il y a un trop-plein. À la moindre détente, tout part parce qu’on a accumulé. Je n’ai rien à prendre sur moi, j’ai à accueillir, à écouter. Si tu me dis « tu es un salaud », j’ai pas à penser que je le suis, je dois me demander ce qui te fait dire ça. Après ; si j’ai fait une erreur, je vais la reconnaître.

Vous l’avez dit : pour être bienveillant, il faut commencer par l’être avec soi. Comment peut-on s’y prendre ?

Quand je ne suis pas bienveillant envers moi, c’est parce que je me laisse aveugler par mes limites, mes incapacités, mes défauts, ma culpabilité et que je ne vois que ça. Donc pour être bienveillant envers soi, il faut accueillir sa part sombre, plutôt que de s’en accuser. Quand j’accueille cette part sombre, c’est que je sais que je veux avoir de la lumière. Cette part sombre met en valeur la lumière que j’espère. La deuxième chose, c’est d’aller chercher cette lumière. Et ça c’est un regard de foi sur moi. En chaque être humain, il y a une lumière que rien ne peut atteindre, il y a une pépite que rien ne peut détruire, cette pépite, elle est cachée derrière mes peurs, mes déprimes, mes épuisements. Si tu te blesses contre un caillou, tu peux le regarder, mais arrête de t’énerver contre lui, occupe-toi de ce qui fait mal. Ce qui fait mal c’est qu’il y a une partie de ton être qui a été atteinte. Si ça te fait si mal, c’est parce que t’as envie d’autre chose, la question est : de quoi as-tu besoin ?


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