Communiqué de Mgr Aubry : « Les Japonais... et la grève ! »
Article mis en ligne le 28 mars 2011

par Geneviève Barbeau

Les Japonais… et la grève !

Les médias nous rapportent des conflits armés et des catastrophes naturelles aux conséquences dramatiques. La Réunion serait-elle un petit paradis par rapport au monde ? Certes pas. Mais des situations pires que la nôtre nous invitent à recadrer nos tensions et nos conflits pour rechercher des solutions qui feront droit avant tout à la dignité humaine et à un vivre ensemble sur une surface restreinte. Le droit de grève existe. Il a été acquis de haute lutte dans une période historique d’essor industriel où la richesse a afflué dans les mains d’un petit nombre et la multitude était dans l’indigence. Dans le monde qui s’est industrialisé, les syndicats se sont structurés. Ils ont repris à leur manière l’intuition des très anciennes « corporations » qui défendaient les intérêts vitaux de leurs métiers respectifs. Elles avaient une philosophie ou une spiritualité qui intégrait en même temps l’intérêt général. Aujourd’hui, on dirait le bien commun. Gardons-nous donc de sentiments égoïstes ou fatalistes qui nieraient le droit d’association ou stigmatiseraient les syndicats.

Il est donc question de justice sociale. De vie en société. Logiquement, cela veut dire que les moyens de faire reconnaître les revendications d’une catégorie sociale et les moyens de défendre légitimement ces revendications ne doivent pas se retourner contre l’ensemble du corps social auquel cette même catégorie sociale appartient. Les interactions sont permanentes et les remises en cause devraient l’être aussi en fonction de la construction d’une même communauté de destin. Nous sommes tous sujets de droits et devoirs. Nous et les autres, les autres et nous… cela va ensemble, non seulement dans l’utopie mais dans le possible à réaliser chaque jour. En moins de 50 ans, l’île de La Réunion est passée d’une civilisation rurale à un type de civilisation urbaine et technicienne. La crise mondiale est là et l’économie de La Réunion qui a beaucoup évolué n’est pas en dehors de cette crise. Notre taux de chômage est de 28,9 % et le chômage des jeunes de 51 ,5 %. Le numérique se développe et, malgré les efforts, la « fracture numérique » se développe elle aussi. Cette fracture augmente l’écart entre ceux qui peuvent participer à l’économie et ceux qui sont laissés pour compte, entre ceux qui sont dans le système et ceux qui sont en dehors du système. Beaucoup n’ont rien et ceux qui ont un emploi sécurisé et correctement rémunéré sont en quelque sorte privilégiés.

Le monde change. La Réunion n’a pas fini de changer. Benoît XVI, dans son encyclique « L’Amour dans la Vérité » écrit « A notre époque, l’Etat se trouve dans la situation de devoir faire face aux limites que pose à sa souveraineté le nouveau contexte commercial et financier international marqué par une mobilité croissante des capitaux financiers et des moyens de productions matérielle et immatérielle (§ 24) ». L’Etat français n’échappe pas à ce contexte. En veillant à ce que les personnes et les familles soient sécurisées sur leurs capacités de remboursement, en travaillant aux équilibres fondamentaux dans les collectivités, en faisant que le financement des transferts de compétences Etat – Collectivités soit assuré, en recherchant un développement économique adapté localement et ouvert mondialement… nous ne pouvons pas passer à côté d’un rôle mieux ajusté des pouvoirs publics. En effet, il est nécessaire que nous tous qui vivons à La Réunion, nous développions une mentalité et des comportements de « démocratie participative » avec le courage de mettre en application le principe de subsidiarité. Nous sommes donc interpellés sur notre adhésion à construire ici une même communauté de destin qui – de fait aujourd’hui – s’enracine dans l’ensemble français, la région Océan Indien et l’Europe.

Par conséquent, chacun de nous à La Réunion, chaque catégorie sociale ne peut pas penser et agir comme s’il fallait retirer le plus vite possible le maximum d’argent de revendications catégorielles et peu importe le reste… « après moi le déluge ! ». Sans se mettre en péril et pour assurer l’avenir, il me paraît essentiel de prendre conscience que les revendications et les manières de les défendre doivent respecter les conditions indispensables à la vie de l’ensemble du corps social, à son harmonisation, à son évolution. S’agit-il de défendre le principe d’une rémunération ? Les leçons des catastrophes du Japon nous montrent que lorsque tout s’effondre dans la fragilité humaine et le déchaînement des éléments naturels, l’essentiel pour tous c’est au moins l’air, l’eau, la nourriture et l’électricité. C’est vital, au sens fort du terme. Sans cela, il n’y a pas de vie.

Il y a 50 ans, à La Réunion, on aurait pu se passer momentanément d’électricité. Pas aujourd’hui où tout dépend de l’énergie : santé des malades, pompage de l’eau, besoins domestiques, communications, vie économique à tous les niveaux et exercice habituel de la vie démocratique. Cela, tout le monde le sait et ceux qui travaillent à la production de l’énergie électrique, encore plus. Alors ? Pour reconstruire leur Japon autrement et mieux qu’aujourd’hui, les Japonais, dans le silence de leur souffrance, travaillent avec acharnement. Ils ne font pas grève. Ils font repartir l’électricité et font tout pour faire circuler l’eau. Ils réussiront. Et nous ici, comment diminuer les effets de la crise, relancer les activités et l’emploi, éviter les catastrophes sociales et économiques ?

Monseigneur Gilbert AUBRY


Appels à dons, bénévolat

puceContact puce RSS

2009-2024 © Diocèse de La Réunion - Tous droits réservés
Haut de page
Réalisé sous SPIP
Habillage ESCAL 4.3.3
Hébergeur : OVH